vendredi 9 août 2019

Pollen#3


La venue


Je ne savais rien de ce poète lorsque son nom si français sonna à mes oreilles en le découvrant au faîte de son dernier livre sur une table de librairie. Et pour une fois ce ne sont pas des grappes de mots choisis au hasard dans le corps du texte qui m’amenèrent à lui mais la quatrième de couverture ou l’on pouvait lire que La venue est le huitième recueil de Liturgies, le journal en sonnets de Robert Marteau.

En effet, une date estampille chacun des 357 sonnets et l’ensemble couvre la période du 1er janvier 2005 au 24 décembre 2006. Dans chaque poème, Robert Marteau décrit une scène, une situation, un événement anodin lié à la saison ou une réflexion propre à son état intérieur. Et la forme du sonnet semble lui servir de trame pour déployer son regard, à la manière du peintre qui scrute à travers un cadre en bois le paysage qu'il dessine sur sa toile, s'en servant de grille virtuelle pour reporter les proportions et détacher les formes les unes des autres sans être le jeu de sa propre représentation de l'espace.

Ainsi, sa poésie possède cette capacité à donner force à ce qu'il décrit et à le détacher du reste :

              Jonquilles jaunes, crocus violets sont là
              Sur l'herbe avec le merle aux plumes noires qui
              Va vite d'un point à un autre et pique d'un
              Bec prompt la terre d'où il compte extraire un grain,
              Un ver, une larve, un fétu enfoui, une
              Radicelle suffisamment tendre. (…)
              (Samedi 12 mars 2005, p16)


La ponctuation respecte les règles d'usage et les quatre strophes ne sont pas séparées, ce qui rapproche les sonnets de la prose et rend discret leur structure, presque invisible, comme le croquis initial qui disparaît sous l'huile du peintre. Les vers sans rime ajoutent à cet effet et, en limitant la recherche formelle, permettent une grande précision dans la description, tout en ciselant une nouvelle musique de la langue.
Mais ce cadre préexistant au poème est peut-être d'abord une grille mentale pour faire le vide en soi et trouver l'état d'esprit le plus favorable à l'observation : 

              Je m'arrête à regarder l'abeille occupée
              Volubile à récolter le pollen au bout
              De chaque étamine. (…)
              Je peux me tenir à l'épier sans qu'elle
              S'en offusque en rien, m'absentant en quelque sorte
              Comme si le monde humain venait en dernier
              Lieu et dernière instance en fin bout de la chaîne.
              (Lundi 27 juin 2005, p30)

Robert Marteau est un écrivain français autodidacte, né en 1928 et mort en 2011. Instituteur pendant vingt ans, il consacra sa vie à l'écriture. Il est l'auteur de nombreux recueils de poésie, mais aussi de romans, d'essais et de traductions. En 1962, Michel Deguy l'invite à collaborer à la revue Po&sie. Il quitta l'enseignement peu après et vécut pendant douze ans au Québec où il prit la nationalité canadienne. Son journal en sonnets à débuté par la publication en 1992 de Liturgies, qui donne son nom à l'ensemble. Ce mot désigne le culte public et officiel de l’Église Chrétienne ; d'ailleurs quelques poèmes font référence à la religion ( « J'écris sous le regard du Christ. Je m'en rends compte. / Je n'y cherche pas d'explication. » p42) Mais ici, le travail de salut de l'âme s'est transformé en celui du salut quotidien de la beauté du monde et de la diversité de la vie.

Toute la force de cette poésie se trouve dans sa capacité à redonner de la densité et de la vibration à la vie qui nous entoure et à permettre à la spiritualité humaine de s’épanouir à partir de ce qui est accessible car « Chacun a droit / Ici et maintenant à sa vie immortelle / Même si elle n'est faite que de papier ; » (p89). 
Il me semble trouver là, à défaut d'une définition de la poésie, car elle est multiple et insaisissable, une pratique essentielle de la joie du poème dont l’inscription sur la page n'est que la trace d'une disposition du corps et de l'esprit à s'ouvrir au monde par tous les sens : 

              Cultive en toi les fleurs qui fleurissent la terre ;
              Écoute leur silence. Elles ont quelque chose
              De divin, c'est pourquoi le temple les imite
              En son édification ; extrait comme elles
              Des ténèbres qui sont en dessous, et comme elles
              Assurant son ascension par les degrés
              De la lumière. L'humus, les métaux, les sels,
              L'air et l'eau, le ciel contribuent à leurs couleurs,
              Elles ne nient pas l'âme, inspirent à l'amour
              Les métaphores et sa présence réelle.
              Des jardins que nous croyons imaginer, elles
              Se souviennent, vers nous répandent les parfums
              Puisés où il n'y a pas encore d'espace
              Pour la parole ni de preuve à apporter.
              (Mercredi 4 mai 2005, p23)




Retrouvez Robert Marteau sur le site qui lui est consacré www.robertmateau.com et sur Terres de femmes