mercredi 19 août 2015

Diaclase#1 [Le chemin]



La littérature est un chemin.

Nous le savons lorsque nous voyons défiler devant nos yeux non plus les images du roman que nous serrons entre nos mains mais nos propres paysages intérieurs dont nous ignorions les contours. Nous le savons lorsque le personnage d'un livre surgit dans notre vie pour nommer un sentiment ou dire une sentence, se donner en exemple ou en exergue, nous indiquer une issue ou nous porter secours d'un regard bienveillant.

Ce chemin est l'expérience de la lecture aussi bien qu'il est le parcours qui se déroule dans le livre. Parfois même, la littérature n'est que le récit, le témoignage, la trace d'un chemin vécu dans les mots d'un autre.

Ce chemin nous le cherchons sinon la littérature n'aurait pas une si grande importance. Il est difficile à suivre, serpentueux, suite d'allers et retours, d'avancées fulgurantes et de longues errances ; et il ne se présente pas pour ce qu'il est . Chemin étrange, qui ne nous appartient pas, ne nous correspond pas et nous amène où nous désirons parce que nous sommes perdus ; étrange chemin  que nous ne trouvons que lorsqu'il nous échappe et qui mène chacun de ceux qui l'empruntent en des lieux différents.

Ainsi, l'art de la longueur chez Proust, de la digression et de l'ellipse, détournent du chemin jusqu'à oublier son existence pour pouvoir le trouver. Le Wilhelm Meister se présente comme le roman du parcours d'un jeune homme dans la société, mais sa leçon est de montrer que le vrai chemin, celui qui compte, est intérieur.

Cette expérience littéraire peut traverser presque tout livre. Dans ce cas tout est littérature. Mais il faut dire combien sont nombreux les livres construits pour ne pas sortir de soi, se confiner dans son égo, pour consolider ses propres représentations, ne pas vivre l'expérience du monde à travers les mots et tracer des frontières à partir des idées ; tous ces ouvrages qui cèdent au réel et à ses représentations simplifiées et dominantes.

L'enjeu de la littérature est la multitude de chemins singuliers qu'elles provoquent. Alors elle n'accepte pas de discours universel, de critique formelle. Elle garde pour elle une part d'incommunicabilité, un lien au monde  intime et inexprimable. Mais il est possible de parler des textes propices à élargir les esprits, des instants de beauté favorable à la connaissance, des écritures au plus près du monde et au plus loin de l'idéologie, quand la lecture est un acte d'honnêteté face aux mots, un travail de creuset du sens et un exercice d'ouverture du cœur.